Les agents ont-ils pris le pouvoir ?

Travaillent-ils pour les athlètes, les clubs ou tout simplement pour eux-mêmes ? Dans le football business, les agents de joueurs courtisent désormais les clubs… quand ils n’en prennent pas la possession.

Au départ il s’agit d’une simple lettre. L’auteur, anonyme, pourrait passer un jour à la postérité. Car les conséquences de sa missive sont encore inconnues. En tout cas, elle a mis le feu aux poudres. La lettre a été envoyée à la Fédération française de football (FFF), la Ligue de football professionnel (LFP)… et au juge parisien Philippe Courroye, par ailleurs en charge de l’enquête sur les liens entre le SC Bastia et le nationaliste corse Charles Pieri. Dans son courrier, l’auteur dénonce des pratiques frauduleuses dans des transferts de joueurs. Le journal Le Parisien a publié de larges extraits de cette lettre. Elle indique notamment que William McKay, un intermédiaire présenté comme incontournable pour les clubs français lorsqu’ils traitent avec leurs homologues d’outre-Manche, use de son statut de résidant monégasque pour faire transiter des sommes importantes, afin de les reverser en ‘net d’impôt’ à certains joueurs ou dirigeants. Le document nomme plusieurs agents comme ayant une complicité active dans ces pratiques. Le corbeau du football dénonce aussi le laisser-faire de la FFF et de la LFP qui ont connaissance de l’existence de ces personnes et pratiques, mais ferment les yeux. Les agents dénoncés ont démenti les allégations proférées à leur encontre. Il n’empêche, la FFF et la LFP prennent l’affaire au sérieux. Les deux parties ont déposé plainte auprès du parquet de Paris. La Fédération a également lancé un groupe de travail. Celui-ci doit se réunir pour la première fois le 14 avril pour étudier la teneur des accusations portées, mais aussi la transparence des contrats signés par les agents avec les joueurs.

Des licences obligatoires… mais pas généralisées

Beaucoup de travail en perspective donc pour une profession où il n’existe pas de véritable formation, mais qui suscite de nombreuses vocations. Depuis la loi sur le sport du 6 juillet 2000, le rôle de l’agent est théoriquement réglementé. Théoriquement, car beaucoup passent entre les mailles. Richard Bettoni par exemple, cité dans la lettre du corbeau, ne dispose pas de la licence officielle d’agent de joueurs. Autre problème : tout l’enjeu pour l’agent est de récupérer les 5 à 10% de commissions sur les contrats conclus par les joueurs. Ce qui suppose beaucoup de questions sur le contrat de travail. La commission s’applique-t-elle sur le contrat de travail net ou brut ? Est-ce qu’il faut inclure les primes, les contrats d’image ou les avantages en nature (appartement, voiture) dans ce calcul ? En football, La rémunération d’un agent de joueur mandaté par un joueur sera calculée en fonction du salaire de base brut réalisé par le joueur aux termes du contrat de travail négocié par son agent (soit sans tenir compte de toutes prestations supplémentaires telles que voiture et logement de fonction, primes de matchs, primes de réussite et autres avantages). L’agent de joueurs et le joueur s’entendent à l’avance sur le mode de rémunération, à savoir si le joueur rémunérera son agent par un paiement unique au début de la période couverte par le contrat de travail négocié par l’agent pour le joueur ou par un décompte annuel à chaque fin d’année contractuelle. Si l’agent de joueurs et le joueur n’ont pas convenu de procéder à un paiement unique et que le contrat de travail négocié pour le joueur affiche une durée supérieure à la durée du contrat de médiation existant entre l’agent de joueurs et le joueur, l’agent de joueurs continue d’avoir droit à sa rémunération annuelle à l’expiration du contrat de médiation. Ce droit ne s’éteint qu’à l’expiration du contrat de travail ou dès que le joueur a signé un nouveau contrat de travail, n’ayant pas été négocié avec l’aide de ce même agent de joueur. Si l’agent de joueurs et le joueur ne parviennent pas à s’entendre sur le montant de la rémunération ou si le contrat de médiation ne contient pas d’informations y relatives, l’agent de joueur a droit au paiement d’une rémunération à hauteur de 5% du salaire de base, que le joueur percevra aux termes du contrat de travail négocié pour lui par l’agent de joueurs selon l’article 12 du règlement de la Fédération internationale (FIFA). En théorie, le joueur, qui a mandaté un agent, paie cette commission. En pratique, les clubs se substituent à eux pour des raisons sociales et fiscales. Sinon comment expliquer cette incroyable statistique révélée par Jean Verbeke dans Le Parisien. Sur les 200 derniers contrats ou avenants homologués par la Ligue de football professionnel, seuls 14% des joueurs concernés déclarent avoir recours aux services d’un agent de joueurs… constate le président de la Ligue de Paris Ile-de-France de football, et président de la commission des agents de joueurs. Etonnant, alors que la France compte 121 agents homologués. Lors de la dernière session de l’examen pour devenir agent de joueurs, sur les 186 candidats inscrits, 177 se sont présentés aux épreuves. Manque de chance pour les postulants, la session de mars pourrait être annulée. Certains des candidats auraient eu préalablement connaissance des questions avant le début des épreuves.

Des agents de joueurs recrutés par les clubs…

Pendant que les nouveaux essaient de se frayer un chemin dans cette jungle, les anciens passent à la phase II. Avant, ils étaient agent de joueurs, demain ils seront agent de club. L’Olympique de Marseille avait en quelque sorte inauguré la pratique lors du retour de Bernard Tapie à l’OM. Il y a deux ans, le club phocéen avait mandaté deux agents, Gilbert Sau et Gilbert Baresi, pour gérer les transferts olympiens. Le premier aurait empoché 1,7 million d’euros en commissions. Plus près dans le temps, l’AS Monaco a délégué en début de saison cette gestion à Jeannot Werth, agent de Didier Deschamps, et Fabrice Poullain. Le premier a été nommé responsable du recrutement et le second bombardé coordonnateur technique.

Même si le mélange des genres saute aux yeux, force est de constater qu’il ne gêne visiblement personne… Après tout, les autres font pareils. En Italie, on ne sait plus vraiment qui fait quoi entre Alessandro Moggi, l’agent, et son père Luciano Moggi, directeur de la Juventus Turin. Même chose en Angleterre où Alex Ferguson, le manager de Manchester United, doit justifier ses rapports avec son fils, Jason Ferguson, lié à plusieurs agents de joueurs.

… et des clubs repris par des agents

D’abord intermédiaires, puis conseillers, certains vont plus loin encore en prenant la direction de clubs. En Suisse, le Français Marc Roger (photo) est devenu actionnaire majoritaire du Servette de Genève, l’ancien club de Canal +. Une formation qui est pour l’heure mal en point, mais qu’il compte transformer en Auxerre suisse. Pour sauver le club genevois de la faillite, il a versé 800.000 euros. Il doit également trouver environ 8 millions de francs suisses (5 millions d’euros) cette année pour éponger le passif. Son carnet d’adresses est un atout précieux. Claude Makelele, un joueur de son écurie, va entrer dans le capital à hauteur de 5 à 10%. Mais ce n’est pas tout. L’agent espagnol Santos Marquez participe également à l’opération. Illustre inconnu en France, pour les non-initiés, Marquez a participé aux négociations des deux plus importants transferts de l’histoire du football, ceux de Luis Figo et de Zinedine Zidane. En France, un projet similaire se prépare. L’Estac veut ouvrir son capital. Le club troyen cherche de nouveaux investisseurs et un nom revient avec insistance : celui de Frédéric Dobraje, l’un des plus importants agents de joueurs.

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