Le football met un genou à terre

C’est paradoxal, mais l’année d’une Coupe du Monde où l’on devrait parler de jeu, de la composition des sélections, de favoris pour le titre, on ne s’interroge que sur une chose : le ballon rond est-il mort ?

Droits télés, Droits Radiophoniques, audiences télévisées, les comptes (rouges vifs) du football français, la première expulsion de Luis Fernandez, la deuxième expulsion de Luis Fernandez, la troisième expulsion de Luis Fernandez, les casseroles de Gérard Bourgoin (les instructions sur la faillite de son groupe font peser sur lui une menace de mise en examen, candidature aux élections législatives, gestion de l’appel d’offres des droits radios), etc. Depuis des semaines le football fait la part belle à la rubrique fait divers. Preuve que le football n’est plus seulement un sport, mais qu’il est désormais une composante essentielle de la vie sociale. Preuve également que les clubs sont à la dérive. Incapables de battre des équipes hollandaises ou tchèques, les clubs de D1 ne font plus parler d’eux que sur le plan extra-sportif.

Dernier exemple en date, les articles du Journal du Dimanche et de La Tribune qui publient coup sur coup des reportages, l’un sur le football français, l’autre sur le football européen, qui ne laissent guère de place à l’optimisme. Selon le quotidien économique, il faut s’attendre à des faillites retentissantes de plusieurs formations européennes. Conséquence directe de la baisse des audiences télévisées, les droits télés devraient baisser. Le football, hormis ses grands événements, voit ses audiences télévisées s’effriter. Il note parallèlement que les groupes audiovisuels, premiers bailleurs de fonds du football professionnel, ont présenté des résultats annuels en demi-teinte (TF1, première chaîne privée française), décevants (RTL group), voire catastrophiques (Canal Plus), sans compter l’exemple de l’Allemand Kirch, au bord de la faillite. Dans ce contexte, les droits sportifs, qui représentent plus de la moitié des revenus des clubs de football, vont connaître une chute vertigineuse et les fusions évoquées ici et là (France, Italie, Espagne) entre bouquets satellites pourraient porter le coup de grâce à de nombreux clubs. Un dessein noir donc. Aussi noir que celui prédit par ce même journal au Groupe Kirch pour rentabiliser l’achat des droits des Coupes du Monde 2002 et 2006. Or, on sait que (même si Kirch a viré au rouge pour d’autres raisons) le magnat allemand a non seulement équilibré ses comptes avec les Droits TV des deux prochaines Coupes du Monde, mais qu’il a également dégagé des bénéfices sur cette opération (achetés 1,89 milliards d’euros -hors Etats-Unis- il les a revendu, pour n’en citer que quelques contrats, 168 millions d’euros à TF1, 255 millions d’euros à BBC et ITV, 940 millions d’euros en Amérique du Sud, 130 millions d’euros à ZDF et à ARD, 160 millions d’euros en Espagne).

Alors faut-il craindre des annonces de faillite en cascades ? On pourrait connaître quelques couacs ici ou là mais les plus grands resteront sur le devant de la scène. Nike n’a pas investi autant d’argent dans Manchester United (487.837 millions d’euros sur 13 ans) pour voir le club disparaître du jour au lendemain. Même chose pour le Real Madrid. Le club madrilène, en quelques semaines, est passé de cancre du football européen avec des finances plombées (la dette atteignait 282 millions d’euros) à celui de club du siècle, élu par la FIFA, et de nouveau riche (la vente de son centre sportif, la Ciudad Deportiva, lui a rapporté 380 millions d’euros).

Les clubs ont trop tiré sur la corde droits TV qui devraient baisser. Qui devraient, car il ne faut pas oublier une chose : les télévisions ont besoin du football pour attirer les téléspectateurs (en 2001, saison sans enjeu, la rencontre France-Portugal a réalisé la 10e audience de l’année avec plus de 10 millions de téléspectateurs) et les abonnés (le football reste un produit d’appel pour les chaînes cryptées et les bouquets satellites). Aux clubs de réduire leur train de vie (avec des transferts moins coûteux) et de rééquilibrer leurs recettes (plus de 50 % de l’argent encaissée provient de la télévision).

Dans le JDD du 10 mars, l’accent a été mis le déficit du football français. On le sait, la D1 accuse un passif de 297 millions d’euros en 2001. Selon le Journal du Dimanche, 12 clubs (D1, D2 ou National) seraient sous la menace de sanctions de la Direction Nationale de Contrôle et Gestion (DNCG). A eux seuls, le PSG et l’OM représenteraient 80 % de l’endettement de la Division 1. Des sanctions, allant jusqu’à la rétrogradation, pourraient être prononcées à l’encontre des mauvais élèves.

Le JDD semble mieux renseigné que la DNCG puisque plusieurs personnes proches du gendarme financier du football français affirment qu’aucune mesure disciplinaire ne serait pour l’instant envisagée. En fait, on ne saura rien avant le mois de mai. Quelques jours après la fin du championnat, la DNCG rendra son verdict. L’Olympique de Marseille devrait échapper aux fourches caudines tant que Robert Louis-Dreyfus assure la pérennité financière du club (qui devrait perdre cette saison 30 millions d’euros). Même chose pour le PSG. Le président du Paris SG, Laurent Perpère, admet une dette de 45,7 à 61 millions d’euros mais rappelle que, en 2000, elle s’élevait à 108,2 millions d’euros. Le club parisien compte sur les ventes d’Anelka à Liverpool et de Luccin à Vigo pour récupérer un peu d’argent.

L’hebdomadaire s’inquiète de la baisse annoncée des droits TV du football français. Le présent contrat arrive à échéance en 2004. C’est vrai. Mais les négociations ne devraient débuter qu’à la rentrée prochaine. Il est donc normal, quand on est acheteur, de crier tout haut les droits ont atteint des sommets ou ce n’est plus possible, nous ne sommes pas les vaches à lait du football pour conclure les droits TV doivent baisser. Entre-temps, la Coupe du Monde sera passée par-là. Que les Bleus de Zinédine Zidane réussissent le doublé et l’on reparlera de la France qui gagne. Pour peu que TF1 remplisse ses pages de pub et la Ligue Nationale de Football (qui a acheté la paix sociale avec la Fédération Française de Football en échange de 70 millions d’euros sur cinq ans) sera en position de force pour vendre le produit football. Si les Bleus échouent, il ne faudrait pas sous-estimer le rôle de M6. La chaîne vient de fêter ses 15 ans et affiche ouvertement ses ambitions sur le ballon rond (propriétaire des Girondins de Bordeaux, M6 détient également les droits de diffusion du Trophée des Champions). Pour avoir pris de haut son adversaire, TF1 a failli perdre son émission emblématique Téléfoot en 2001. M6 pourrait jouer le trouble fête dans les négociations comme l’avait fait TPS il y a quatre ans.

Le football, français en particulier, connaît sa première crise d’hyper-croissance. Il a mis un genou à terre mais le carton rouge n’a pas encore été sorti.

Quitter la version mobile